Édifier un pont entre deux mondes grâce à la mode. Tel est l’objectif de Zolaykha Sherzad, aujourd’hui à la tête de Zarif Design, une maison de couture assez singulière.
Cette jeune femme d’une quarantaine d’années, née à Kaboul et contrainte de fuir son pays natal à l’âge de 10 ans avec ses parents après le coup d’État communiste, confectionne aujourd’hui des lignes de vêtements, dont le style allie soieries et tissus traditionnels afghans à des coupes de facture occidentale des plus tendances.
Rien pourtant ne la prédestinait au stylisme. Diplômée en 1994 de l’École d’architecture de l’Institut de technologie de Lausanne, en Suisse, où elle s’était réfugiée avec sa famille, elle se met à travailler sur des projets architecturaux aussi bien dans son pays d’accueil qu’au Japon et aux États-Unis, avant de créer à New York avec son mari, Frédéric Levrat, architecte comme elle, son propre cabinet d’architectes, ARX New York. ARX est primé à plusieurs reprises et même reconnu en 1997 comme l’un des sept meilleurs cabinets de jeunes architectes américains. Tout au long de ces années de formation et de réussite, elle n’en oublie pas pour autant ses racines et l’Afghanistan. En 2000, grâce à l’aide d’exilés afghans de New York, elle lance School of Hope, une association dédiée à la levée de fonds pour la construction d’écoles primaires et secondaires en Afghanistan, dans la province rurale de Ghazni. Pour Zolaykha, cette initiative est un moyen de sortir l’enfant afghan du traumatisme de la guerre, en l’éloignant, le temps de la classe, de leur quotidien et de leur histoire familiale. Sur un plan personnel, son engagement dans School of Hope lui donne la satisfaction d’être utile aux autres et à l’Afghanistan.
Au début des années 2000, la fin du régime taliban lui permet enfin de retourner pour la première fois depuis vingt-cinq ans dans son pays d’origine, dévasté par la guerre, où tout est à reconstruire. Elle va pourtant y passer deux ans, accompagnée de son mari et de son fils, en dépit des risques liés à l’instabilité qui perdure dans le pays. À l’occasion de la visite d’une école, dont la construction a été financée par son association, elle tombe un peu par hasard sur un atelier de confection pour femmes. Zolaykha est immédiatement impressionnée par la qualité du travail artisanal qui y est réalisé, tout en déplorant une certaine perte d’identité des tissus confectionnés.
Avec l’ambition de faire revivre la tradition textile afghane, elle décide alors de créer, en 2005, Zarif Design (zarif signifiant « précieux » en dari, la langue parlée en Afghanistan), après avoir toutefois obtenu un diplôme en stylisme à l’Institut de technologie de la mode de New York. Cette maison de couture s’organise autour de Zarif Design Centre, un atelier de confection situé à Kaboul qui emploie trente-deux femmes et quinze hommes et travaille la soie, la laine selon des procédés artisanaux, pour créer des manteaux, chemises, robes aux motifs afghans mais aux coupes modernes adaptées à la mode internationale. La première collection présentée à Kaboul en mai 2005 a d’ailleurs immédiatement rencontré un vif succès auprès de la communauté expatriée, des employés d’ONG et des Nations unies. Même si les vêtements de Zarif Design restent inabordables pour la majorité de la population de l’Afghanistan, ils procurent emploi et formation à des femmes et des hommes afghans. « Ce projet est autant une aide à l’Afghanistan et à ses habitants, nous confie Zolaykha, qu’un retour au source, pour moi qui suis née afghane, mais qui me suis retrouvée déracinée par la force de l’exil. »
S’inspirant des « chapans », ces capes traditionnellement portées par les hommes, à l’instar du président Karzaï, Zarif Design a notamment conçu un long manteau cintré en soie destiné aux femmes qui séduit le plus grand nombre pour son côté « ethnique ». Au fil des années, les défilés se succèdent à Delhi, Paris, Dubaï et New York. 2009 marque sans doute la consécration pour la jeune styliste afghane, puisqu’elle a participé en tant qu’artiste à la Biennale de Venise et que sa nouvelle collection est en vente à Paris chez Agnès b.
Pour sa créatrice, Zarif Design est une façon de montrer que l’Afghanistan n’est pas qu’un théâtre de guerre, un pays de pauvreté où les femmes portent la burqa, mais un pays riche d’une histoire, d’une culture et au savoir-faire ancestral dans le tissage de la soie. Des atouts que Zolaykha utilise aujourd’hui pour participer au développement de son pays. « Grâce à ce projet, je suis aussi parvenue à nouer mes deux vies, celle de mes racines et celle de l’exil, et deux mondes très différents, celui de mes racines et celui où je vis aujourd’hui. » Une belle leçon de vie entre New York et Kaboul.
Frank Tétart Pour en savoir plus…